Expédition 2020

Les morilles, comme vin, ça dépend des années. Pour vous fournir de belles morilles séchées, il faut trouver de belles morilles fraîches. Pour qu'en 2022, et 2021, vous puissiez déguster de délicieuses morilles canadiennes, il faut de la patience, de la chance, et de l'abnégation. A défaut de trouver des morilles de France, locales et gouteuses, il nous reste le canada et ses grands espaces. Les morilles n'ont pas échappé à la pandémie, ce qui a fortement compliqué la récolte durant les deux dernières années. Si vous souhaitez commander des morilles séchées, rendez-vous à la boutique du site. Pour patienter, voici le récit de la saison de récolte 2020. En en attendant d'autre !

La saison 2020, à l’image de la saison 2019, fut particulièrement perturbée. Ça n’a échappé à personne, même à la dernière personne recluse dans un chalet perdu quelque part loin de la civilisation, au fond des bois de Colombie-Britannique. Une pandémie mondiale s’est installée, paralysant les déplacements, la vie et les activités normales d’une majorité d’habitants de cette planète.
Et bien que s’exerçant au fond des bois, la récolte de morille n’échappe pas à la règle. Il faut pouvoir s’y rendre, et la plupart des déplacements sont limités. Le confinement était pourtant plus souple et moins strict en Colombie-Britannique qu’en France. Les déplacements entre différentes régions sont fortement proscrits, et déconseillés, mais pas interdit. Il est toléré de se déplacer au sein d’une même région, avec un groupe limité de personnes, en limitant les contacts avec l’extérieur.
Cela limite donc fortement les possibilités de récolte, puisqu’il faut trouver une zone incendiée de l’année passée, dans la zone où je réside en Colombie-Britannique. Et, fort heureusement pour les habitants de cette région, l’été précédent a été plutôt calme dans le sud de la province, où relativement peu de feux de forêt ont brulé. Cela ne fait en revanche pas mes affaires pour la cueillette de morilles.
L’immense majorité des incendies ont eu lieu au Yukon, quelques milliers de kilomètres au nord, et la frontière de la province est fermée à tout déplacement non-essentiel, au moins jusqu’au 1er juillet. J’attendrais de voir si cette frontière ouvre éventuellement. En attendant, il est compliqué pour moi de risquer toute une saison sans salaire, vu l’incertitude que le COVID apporte sur l’avenir proche. Je décide donc de ne partir que sur quelques jours, pour évaluer la situation.

Mon choix se porte donc sur la vallée de l’Okanagan. Cette vallée se situe environ 200 km au sud-ouest de Revelstoke (ou je réside).


[On voit bien la vallée de l'Okanagan sur la carte, au sud, à la frontière, au centre de la province, avec les grandes villes de Vernon et Kelowna]

C’est une vallée extrêmement singulière, avec des paysages foncièrement différents du reste du Canada, et de ceux que la plupart des personnes se font de l’image du Canada. Cette vallée est à la frontière sud de la Colombie-Britannique, touchant celle des Etats-unis, et l’Etat de Washington. Cette éco-région est dans le prolongement du désert à sauge Artémisia (sage-brush desert en anglais). C’est le décor de nombreux far-west. De larges vallées entouréess de montagne, avec un sol aride recouvert de grand buisson vert-gris (les fameuses sage-brush ou sauge Artemisia). La première barrière de montagne (la chaine du pacifique) arrête les précipitations venues de l’ouest, ce qui rend cette vallée très aride, avec des températures très élevée en été (entre 30 et 40 °C) et des hivers moins rigoureux qu’ailleurs. Pour ceux qui connaissent bien l’imaginaire américain, pensez aux décors du Montana, du Wyoming et de l’Idaho. Dans cette vallée de l’Okanagan (nom du de la rivière, mais aussi de la nation indigène qui peuplait cette vallée) se concentre la grande majorité de la production de fruits et de vin de Colombie-Britannique. Sur les pentes douces de cette vallée aride, le long de la rivière, s’alignent les vergers industriels irrigués de cerises, de pêches, d’abricots, et les vignobles.
Puis les cultures et les grandes villes laissent place aux forêt sèches de pin Ponderosa, au fur et à mesure que l’on gagne en altitude. C’est donc sur les hauteurs, dans ces forêts sèches de pin, au-dessus de la vallée, qu’on ira chercher nos belles morilles de printemps.

Désert. Saison 2020. Morilles séchées.
Désert à "Sage-brush" typique de la vallée aride de l'Okanagan, qu'on traverse pour se rendre sur la zone incendiée.

J’ai décidé d’amener avec moi cette année là deux amis inexpérimentés. Simmy et Thérèsa, Autrichiens et Allemands. Nous nous installons avec leur camping-car sur un lac de moyenne altitude, avec de beaux emplacements aménagés, une zone pour les feux de camps, et un ponton parfait pour pêcher la truite.
C’est une zone de quelques milliers d’hectares que nous allons explorer. C’est relativement peu pour le Canada. Cela fait même parti des « tout petits » feux. La grande majorité du feu est situé dans des pentes relativement abruptes, tandis que le plateau supérieur, orienté au nord, est pour l’instant encore pris par la neige.
Nous nous rendons sur la zone. Le périmètre du feu se situe sur le territoire de la nation Osoyoos, membre des nations Okanagan. Il faudra s’acquitter d’un permis afin de cueillir sur ce territoire.
Nous nous engageons sur une route forestière en terre qui monte de façon abrupte dans la forêt de pin. Notre véhicule tangue, de droite a gauche, en suivant les ornières, avec la caravane aménagée sur le dos. C’est sous une pluie fine de début de printemps que nous sortons enfin de la forêt, en pénétrant dans une clairière. Des chevaux sauvages (ou en semi-liberté) paissent sur le bord de la piste forestière. Et assez rapidement, on dépasse le premier acheteur, avec son panneau sur le bord du chemin. Le prix est encourageant ! C’est écrit : « on achète morilles, 10 $ la livre ». C’est un bon prix, mais qui souvent indique qu’en début de saison, il y a encore peu de morilles à trouver.
Nous discutons brièvement avec lui, puis nous continuons de monter en altitude afin de trouver un emplacement pour camper pour la nuit.
Nous nous installons sur une zone ouverte, qui donne sur les montagnes de l’autre coté de la vallée. Les pics sont distants, entourés de nuages, et couverts de neige. Pas le pire endroit pour commencer un feu, et établir notre campement. Je me promène autour du campement, et trouve rapidement quelques morilles. Elles sont petites, jeunes, et tout fraiches, mais c’est encourageant pour la suite. Après avoir discuté de la tactique à suivre pour trouver rapidement des morilles le lendemain, nous nous couchons pleins d’espoir de beaux paniers bien remplis.

De droite à gauche : Simmy, sur le point d'allumer le feu. La vue sur la vallée, depuis le campement. La vue sur la forêt sèche de Pins Ponderosa et Douglas, depuis la fenêtre de la caravane.

Morilles. Morilles sauvages. Saison 2020. Covid 19. Morilles canadiennes. Morilles séchées.
Simmy et Theresa qui discutent dans un chaos de roches et d'arbres calcinés, après une pause déjeuner bien mérité.

Après un café réchauffé sur le feu, et un solide petit-déjeuner, nous partons à la recherche des premières morilles. Nous prenons quelques routes forestières, et nous nous arrêtons lorsque le terrain semble propice. La partie s’annonce ardue, car les pentes sont sévères, et le terrain changeant. On commence par une parcelle de pins, avec un sol encore bien humide, et des ruisseaux nombreux. Nous trouvons des morilles en assez grand nombre, mais l’immense majorité sont encore trop jeune pour être ramassées. De la taille d’une phalange du pouce, il faudra se montrer patient pour espérer les cueillir. On voit pourtant un couple de Vancouver, visiblement pas avec la même éthique de cueillette, ramasser ces morilles sans leur laisser le temps de grandir et de libérer leurs spores. C’est contre-productif d’un point de vue récolte, et pour la ressource globale.
On change donc de secteur, pour essayer d’autres versants, expositions, et altitudes. Nous marchons toute l’après-midi, passant combes et vallons érodés par des ruisseaux et petites rivières. C’est souvent dans ce relief accidenté, au bord des ruisseau, que nous trouvons le plus de morilles. En les suivants, on arrive souvent sur un petit plateau marécageux plus humide, où l’on trouve un petit peu plus de champignons. Le terrain est cependant rude. Même au début du printemps, le soleil de l’Okanagan tape fort. On glisse constamment dans ces pentes à 45° ; en marchant perpendiculairement à la pente. Les pieds bougent dans les chaussures, la boue cède sous le pied, et l’on est en général parti pour une longue glissade. Le paysage est clairsemé d’énormes roches, rochers, et petites falaises, ce qui nous nous oblige à de longs détours. Et puis, plus nous avançons, plus le terrain devient minéral et aride. C’est à ce moment que l’on rencontre notre premier serpent à sonnette. Je savais que cette vallée abritait une belle population de ce reptile mythique. Peut-être le seul endroit en Colombie-Britannique où l’on trouve encore cette espèce. Et l’acheteur nous avait mis en garde, de bien faire attention où l’on mettait les pieds. Cette fois, nous l’avons entendu avant de le voir. Sa « sonnette », faisant un boucan d’arroseur automatique, nous a prévenu bien à l’avance, de ne pas s’approcher de trop près.
On décide de rentrer en fin de journée, après cette marche éreintante à travers la montagne. Les seaux sont partiellement remplis, et les quantités ne sont pas astronomiques, mais ce sont des débuts encourageants.

Serpent à sonnette. Canada. Morilles
Le serpent à sonnette, pas très coopératif.
Morilles. Morilles fraiches. Morilles séchées. Panier de morilles. Champignons. Canada.
Les débuts. Des quantités limitées, mais de belles morilles fraiches et de qualité.
Morilles grises. Morilles. Morilles séchées. Morilles 2022.
Les premières morilles grises. Quelles beautées.

On part vendre une partie de notre production à Simon, l’acheteur pour la société West Coast (le plus gros négociant en morilles ici). Il est jeune, très avenant, à pleins d’histoire à raconter, et est particulièrement bienveillant. On sympathise rapidement, et il nous donne quelques conseils pour la suite. Je conserve une bonne partie de mes morilles pour les sécher, et nous repartons au camp.
Les jours suivant ressembleront au premier. On alterne les différents terrain, type de forêts. On explore les nombreuses petites routes forestières. Le nord de feu, un grand plateau, s’annonce être la partie la plus prometteuse, mais il est encore trop tôt dans la saison. Nous ramassons quelques dizaines de livres. Simmy et Theresa sont heureux de passer quelques jours en forêt. Je reconnais l’enthousiasme des débuts. La frénésie à laquelle on se livre. L’addiction rapide que crée cette sorte de jeu avec la nature. Plus on en trouve, et plus on a envie d’en trouver. Chaque courbe, chaque falaise, ruisseau, veille arbre, peut cacher une « patch » potentielle, cachant en son sein un tapis de morilles fraîches et prête pour la cueillette. Au détour de chemins, on croise de nombreux cerfs de Virgnie qui s’éloignent en bondissant. Sur les parties les plus arides, je trouve quelques genévriers, dont les baies iront parfumer la papillote de la truite que nous avons péché au lac.
C’est à contre-cœur que je dois convaincre mes acolytes de rentrer après cette douce semaine dans les bois. Nous devons retourner en ville, travailler, et espérer un salaire plus constant et moins incertain que le salaire du cueilleur. Nous sommes épuisés physiquement, couverts de cendre et de boue. Avec nos habits sales qui sentent la forêt. Cela fait une semaine que l'on boit l’eau des torrents. Qu’on observe le soleil se coucher derrière les montagnes de l’autre coté de la vallée, vers l’Ouest. On a ri sous les étoiles, en buvant nos bières pas chères sur des chaises de camping au bord du feu. On a senti l’odeur doucereuse du bois de pin qui brule, le matin en se réveillant, les yeux fatigués, en allumant notre feu de camp au bord du lac encore brumeux.

On fait rarement fortune aux morilles. On travaille dur, et on est sale tout le temps. Pourtant, on a le sourire aux lèvres, en traversant le désert parsemé de grandes Sauges gris-vert, en rentrant à la maison. Le soleil se couche une dernière fois sur notre semaine, et il est temps de rentrer.
On retournera voir Simon (l'acheteur) plus tard dans la saison, sur de courtes périodes. Ce fut une bonne saison sur ce feu. Le printemps à été pluvieux, et l’altitude à également permise une saison qui s’étale en longueur. Malgré sa toute petite superficie, cela à suffit à sortir de beaux volumes pour les gens ayant pu rester la saison entière.
Quand au Yukon, j’ai souhaité ne pas prendre le risque financier de m’y rendre. Parcourir quelques milliers de kilomètres, investir une somme importante, pour une saison qui commençait le 1er juillet semblait être un pari à haut risque. Surtout au vu de mes finances limitées. Il s’est en revanche avéré payant pour les courageux l’ayant pris. La saison au Yukon à été exceptionnellement longue, et rentable. Avec des prix élevés, des quantités de morilles très importantes, et peu de cueilleur, ce fut apparemment le cocktail idéal pour une saison exceptionnelle.

C’est l’ironie et la beauté d’une saison de morilles. Rien n’est prévisible, tout est risqué. Des situations favorables s’avèrent souvent mauvaises, et certaines s’annonçant complexes deviennent parfois exceptionnelles.